Bartolomé Esteban Murillo
Musée du Louvre
Dans une sorte de soupente aux allures de cachot, un enfant en guenilles est accroupi. La violente lumière du soleil qui passe par la fenêtre éclaire brutalement les sordides haillons, rapiécés, déchiquetés du petit mendiant. Ses jambes nues reposent sur le sol où traînent des débris de crevettes. Tout près de lui, un cabas de paille grossière est renversé et de son ouverture s'échappent quelques pommes qui composeront sans doute sa pitance avec l'eau de la jarre de grès posée non loin de là. Pour l'instant, l'enfant ne semble pas s'inquiéter de nourriture ; il est très attentif à poursuivre, dans les plis de sa chemise, la vermine et les parasites qui s'y épanouissent en liberté.
Ce vigoureux tableau, d'un si intense réalisme et d'une si solide exécution, montre un des côtés les plus intéressants du talent de Murillo. Quoi ! est-ce bien le même artiste qui a peint ces Vierges adorables, ces anges joufflus et ce minable pouilleux échoué dans un réduit infect ? Est-ce bien sur la même palette, chargée des roses les plus tendres et des bleus les plus suaves, qu'il a trouvé ces tons bistrés, puissants, d'une couleur si chaude et si vibrante ? Comment ce pinceau facile, habitué à revêtir d'une sorte de mièvrerie les personnages célestes a-t-il pu s'affermir jusqu'à ces lignes nettes, vigoureuses qui font penser à Zurbaran et à Ribera ?
Cette dualité si curieuse témoigne éloquemment que Murillo s'était fait, pour sa peinture religieuse, une esthétique personnelle conforme à la manière dont, catholique fervent et d ame tendre, il comprenait les glorieux habitants du ciel. Né dans un pays de lumière vibrante, à Séville, il lui semblait impossible que la Vierge, les anges et les saints pussent avoir ces visages sévères qu'une foi triste et sombre leur prêtait uniformément en Espagne. A ses yeux, le séjour des bienheureux devait étinceler de plus de feux que le ciel d'Andalousie et montrer encore plus de splendeurs que l'Alcazar ou le Généralife.
Mais quand il descendait de ses échafaudages et qu'il se retrouvait dans les rues de la ville, dans le terre à terre de la vie espagnole, son œil d'observateur et d'artiste était sollicité à chaque pas par des scènes purement humaines dont il saisissait bien le côté pittoresque et réel. C'est dans les calles étroites de sa ville andalouse, où se passa toute son existence, qu'il rencontra certainement ce mendiant, dont l'Espagne possède encore de nos jours de si nombreux et de si remarquables spécimens.
Au contact de Velazquez, qu'il avait vu à Madrid, il avait appris que rien n'est indigne du pinceau d'un artiste ; il lui avait vu peindre, en même temps que des rois et des infantes, des nains, des bouffons et les pires échantillons d'humanité. A son exemple, il jugea qu'il pouvait à son tour, sans déroger ni faire tort à la Vierge, s'abandonner de temps en temps à l'étude simple et forte des spectacles de la nature et les traduire fidèlement, en pages véridiques et sans apprêt. Et c'est ainsi que Murillo, le plus délicieux interprète des Madones souriantes et des anges rieurs, s'est manifesté par instants comme le plus précis des peintres réalistes. Avec la même facilité qu'il mettait à tisser dans l'azur des atmosphères diaphanes et baignées de clartés, il s'est complu à des oppositions de lumière et d'ombre et il a traité l'art difficile du clair-obscur avec une maîtrise que Rembrandt lui-même n'eût pas désavouée. Dans ce genre tout spécial, le Jeune Mendiant que nous donnons ici, peut être classé comme un chef-d'œuvre. C'est l'avis de Théophile Gautier, excellent juge en la matière : « Une merveille de vie, de lumière et de couleur ! écrit-il au sujet de ce tableau. Dans son art, l'Espagne n'a pas eu le dédain de la laideur, de la misère et de la malpropreté. Sous ce haillon, sous cette difformité, sous cette crasse, il y a une âme ; ce gueux est un chrétien, ce mendiant dévoré de vermine ira peut-être « en la gloire », donc il mérite d'être peint tout aussi bien qu'un roi, et voilà Murillo qui, sur sa palette de rose, de lis et d'azur, chargée par les anges pour peindre la Vierge, sait trouver des tons fauves, des bruns dorés, de chauds bitumes quand il a un Mendiant à représenter. Au pied d'un mur que frappe un rayon de soleil, il nous montre un jeune pouilleux entr'ouvrant sa chemise en loques et faisant une chasse abondante. Don Diego Velazquez de Silva, le peintre grand seigneur, n'était pas plus dégoûté que Murillo, Il laissait très bien les rois, les reines, les infants, les infantes et les ministres pour peindre des ivrognes, des nains, des philosophes, des gitanos et jusqu'à des phénomènes de la foire, et ce ne sont pas ses moins belles peintures. »
Le Jeune Mendiant passa en de nombreuses mains. Il appartint successivement à Gaignat et à Sainte-Foy. Il fut enfin acheté par Louis XVI, pour 2400 livres, et, après la Révolution, placé au Louvre.
Hauteur : 134 cm – Largeur : 110 cm.