Jean van Eyck
Musée du Louvre
Les fervents du musée du Louvre connaissent tous cette œuvre exquise, aussi remarquable par la beauté de la composition que par le charme du détail, par la vérité des attitudes que par la fraîcheur d'un coloris que l'action de cinq siècles n'a pu ternir.
La scène a pour cadre une riche demeure de Bruges, les fenêtres sont en ogive, avec leurs petits carreaux sertis de plomb, et la porte à colonnes s'ouvre sur la campagne flamande. Sur un siège soulevé par un coussin, la Vierge est assise, tenant l'Enfant Jésus sur ses genoux. Elle est drapée dans un magnifique manteau de pourpre dont les plis, très amples, s'étalent sur le riche carrelage mosaïque. Le peintre lui a attribué la beauté blonde des Flamandes, beauté régulière mais sans beaucoup d'expression. Ses cheveux sont bien tirés de chaque côté du front, à la mode de l'époque, et retombent en boucles abondantes et soyeuses sur les épaules ; au-dessus de sa tête, un petit ange, les ailes déployées, soutient une massive couronne d'or. Ses yeux baissés suivent les mouvements de l'Enfant divin qui, d'une main, tient un globe de cristal surmonté d'une croix, pendant que l'autre est tendue vers le chancelier Rolin. Celui-ci, revêtu d'une large robe de brocart brun et or, est agenouillé devant le groupe auguste, les mains jointes, devant un prie-Dieu recouvert d'un coussin, et sur lequel est posé un livre de prières. Quelque belle que soit la Vierge, le personnage du chancelier est le morceau capital de cette œuvre précieuse ; son attitude d'adoration et d'extase est traduite avec une éloquence dont on ne trouve l'équivalent dans aucune autre peinture, sinon peut-être dans la Madeleine du Corrège, au musée de Parme.
A l'intérêt de cet auguste tête-à-tête, l'art de Van Eyck en a ajouté un autre, celui d'un merveilleux paysage qui s'étale jusqu'à l'horizon entre les colonnes de la porte. « Voici les jardins du palais avec les parterres de lis, de glaïeuls et de roses, où se promènent les paons et les oiseaux rares. Une terrasse garnie de créneaux les domine du côté de la campagne, et de petits personnages d'une étonnante vérité animent ce rempart. Au delà, s'étendent à perte de vue les lumineuses perspectives : une rivière d'où émerge une île commandée par un château fort ; sur une des rives, une ville avec ses quais, ses rues, son église et son port fortifié ; et pour fermer l'horizon, une chaîne de montagnes, dont les cimes se perdent dans les pâles clartés d'une aube matinale. Tout cela foisonnant de détails microscopiques, qui sont d'une vérité stupéfiante et qui se fondent dans une harmonie d'ensemble presque mystique. » (A. Gruyer.)
Dans ses dimensions réduites, la Madone Rolin constitue un joyau sans prix. Elle est le plus parfait échantillon de la première manière du maître, toutes les qualités de ce génial artiste s'y résument et s'y épanouissent. « La tonalité, écrit Eugène Fromentin, en est grave, sourde et riche, extraordinairement harmonieuse et forte. La couleur y ruisselle à pleins bords. Elle est entière, mais très savamment composée et reliée plus savamment par des valeurs subtiles. En vérité, quand on s'y concentre, c'est une peinture qui fait oublier tout ce qui n'est pas elle et donnerait à penser que l'art de peindre a dit son der¬nier mot, et cela dès la première heure. »
« Rien de plus fin, de plus chaste, de plus délicat, ajoute Théophile Gautier, que cette Notre-Dame, encore un peu gênée par la symétrie gothique, mais déjà d'une vérité et d'une finesse de dessin incroyables. Quant à sa couleur, au lieu de se carboniser avec le : temps, elle s'est agatisée et a pris l'immuable éclat des pierres dures. »
Beaucoup des œuvres de Jean Van Eyck ont été attribuées à son frère aîné Hubert, grand peintre lui aussi. Mais il semble aujourd'hui que ce dernier ne puisse réellement revendiquer que le triptyque fameux de l'Adoration de l'Agneau, merveille sans égale qui suffit amplement à sa gloire. Il mourut avant de l'avoir terminé, et c'est son frère Jean qui y mit la dernière main.
Jean Van Eyck ne limita pas son œuvre à la peinture religieuse ; il fut aussi un portraitiste incomparable. De son vivant, il jouit d'une réputation européenne, et le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, le prince le plus éclairé de son temps, se l'attacha comme peintre de sa cour. Il lui marqua toujours une faveur particulière, l’employant plusieurs fois à des missions diplomatiques à l'étranger. Quand Van Eyck se fixa à Bruges, le duc vint lui rendre visite à plusieurs reprises.
On sait qu'on attribue à Jean Van Eyck la découverte de la peinture à l'huile. Il est aujourd'hui acquis que ce procédé était connu bien avant lui. Dès le XIIIe siècle, le moine Théophile en avait donné la formule avec une minutieuse précision. Il n'en reste pas moins vrai que les deux frères, Hubert et Jean Van Eyck, furent les premiers à l’employer, et ils en usèrent avec une surprenante science, à en juger par l'admirable degré de conservation de leurs œuvres.
Exécutée par Van Eyck pour la collégiale d'Autun, d'après les ordres du chancelier Rolin, conseiller du duc de Bourgogne, la Madone Rolin fut transportée au Louvre par Napoléon Ier.
Hauteur : 66 cm – largeur : 62 cm.