Andrea Mantegna
Musée du Louvre
La scène représente un paysage de l'Olympe. Sur un tertre élevé formant arcade, Mars et Vénus se tiennent debout devant une banquette drapée de couleurs vives et abritée par un écran de feuillage sombre. La blonde déesse est nue ; d'une main elle retient un ruban qui s'enroule autour de sa jambe, de l'autre, elle s'appuie amoureusement sur le bras de Mars qui se penche tendrement vers elle. Blond comme elle, le dieu guerrier est revêtu de la cuirasse et porte le casque en tête ; dans la main droite il tient une longue lance. Ce groupe charmant se découpe en vigueur sur le fond de verdure placé derrière lui.
Au pied du tertre, les neuf Muses, se tenant par la main, dansent une ronde au son de la lyre dont joue Apollon, assis à la gauche du tableau. Ces Muses sont infiniment gracieuses dans leurs costumes aux couleurs chatoyantes, et leur pose est assurément bien choisie pour faire valoir leurs formes sculpturales. Dans ce tableau où tout semble n'être que détail, le groupe des danseuses occupe le centre de la composition et sollicite l'attention du spectateur, mais quelle fantaisie a su déployer l'artiste dans l'agencement des épisodes dont il se plaît à garnir sa toile ! A droite, c'est Mercure en un costume très sommaire ne comprenant que des jambières de cheval et un casque ailé ; de son bras armé du caducée, il s'appuie sur un Pégase piaffant, curieusement constellé de rubis. A gauche, s'ouvre la forge de Vulcain: celui-ci, sur le seuil de son antre, s'agite et fait des gestes furieux dans la direction de Mars qui conte fleurette à sa volage épouse. Aux pieds de Mars et de Vénus un amour souffle dans une sarbacane qu'il pointe vers le pauvre Vulcain en signe de dérision, pour le taquiner et l'exaspérer.
De la place où se meuvent tous ces personnages, on aperçoit à droite l'Hélicon, d'où l'Hippocrène tombe en cascade, puis, très loin dans la plaine, la Terre, demeure des mortels, avec ses villes et ses maisons.
Tel est le Parnasse de Mantegna, coloré, vivant et si curieux par l'abondance des motifs et la fertilité de l'invention. « Quelle pensée l'artiste cachait-il sous cette composition étrange, nous l'ignorons et ne le chercherons pas. Il nous suffit d'admirer l'élégance de ces Muses, la nouveauté de leur galbe, l'ingéniosité de leur ajustement, la beauté sculpturale du groupe de Mars et de Vénus, la pose de Mercure, le jet des draperies, le soin curieux du détail et cette mythologie en plein Moyen Age qui fait l'effet d'Hélène dans le palais féodal de Faust, avec sa nudité antique dont la légèreté l’embarrasse un peu. » (Théophile Gautier).
Andrea Mantegna naquit en 1431, non pas à Padoue, comme on l'a cru longtemps, mais dans une petite ville du territoire de Vicence. Tout jeune il entra dans l'atelier du Squarcione qui se prit de tendresse pour lui et l'adopta régulièrement comme son fils. Mais bientôt Mantegna, peu satisfait de l'enseignement de ce maître, résolut de s'eû dégager et, pour y réussir tout à fait, obtint de la Cour des Quarante à Venise l'annulation de l'acte d'adoption. Ses rapports avec le Squarcione, déjà tendus à la suite de cette décision, se changèrent en brouille complète quand il épousa la fille de Jacopo Bellini, ennemi personnel de son ancien professeur. Cepen¬dant l’empreinte du Squarcione sur l'art de Mantegna n'est pas douteuse. C'est par l'étude, dans l'atelier du maître, des moulages et dessins de sculpture rapportés de Grèce, que le jeune artiste s'épnt d'un grand amour pour l'antique et qu'il s'efforça d'atteindre à ce goût pur et noble qui caractérise les productions des anciens, alors à peu près inconnus en Italie. C'est là qu'il s'initia à cet art du modelé qu'il devait porter si haut, sous l'influence heureuse de Donatello. Certes Mantegna ne put se débarrasser complètement de la raideur et de la sécheresse gothiques, mais comme déjà son style est supérieur et fait comprendre qu'un élément nouveau s'est introduit dans l'art ! Sur Mantegna luit le premier rayon de la Renaissance; après la longue nuit byzantine et gothique, la Beauté revient charmer le monde surpris.
Mantegna avait soixante ans lorsque Isabelle d'Esté le chargea de diriger les travaux de décoration qu'elle avait entrepris dans son appartement du Corte Vecchio. Isabelle d'Esté était la femme la plus éclairée de son temps, possédant de vastes connaissances, parlant couramment le latin, le grec et la plupart des langues européennes; son goût n'était pas moins remarquable que son savoir. Aux trésors artistiques qu'elle avait amassés elle voulut un cadre digne d'eux : dans ce but elle fit appel à Lorenzo Corta, à Pérugin et à Mantegna, qui peignit deux tableaux : le Parnasse, reproduit ici, et la Vertu triomphant des Vices. Le premier représente le triomphe de Vénus, d'Apollon et des Muses, c'est-à-dire l'influence bienfaisante des arts ; le second proclame la nécessité de la sagesse et de l'activité intellectuelle pour combattre la barbarie et l'ignorance.
Ces deux tableaux furent achetés par le cardinal de Richelieu et firent partie jusqu'à la Révolution des collections du château de Richelieu. Ils sont ensuite entrés au Louvre.