Hyacinthe Rigaud
Musée du Louvre
Dans une riche maison d'un gentilhomme de Perpignan, le vieux peintre roussillonnais Guerra peignait le mur d'une terrasse. Derrière lui, un enfant suivait de tous ses yeux le travail de l'artiste. Celui-ci s'étant absenté un moment, l'enfant se saisit des crayons et sur le mur voisin se mit à dessiner avec ardeur. Le comte de Ros, propriétaire de l'hôtel, survint sur ces entrefaites, entra dans une grande colère et appela ses gens pour châtier le coupable. Mais Guerra, de retour, examina les essais de l'enfant et resta émerveillé : « Laissez-le, dit-il au comte, ce dessin est très bon et je vais le suivre.
L'enfant dont la vocation se manifestait si spontanément s'appelait Hyacinthe Rigaud. Après quelques années d'étude, il venait à Paris, enlevait de haute lutte le prix de Rome, faisait la conquête du tout-puissant Le Brun et devenait, du jour au lendemain, le peintre favori des princes et des rois.
Nous ne donnerons pas ici la liste de tous ceux dont il fit le portrait ; il faudrait citer tout ce que la cour et la ville possédaient d'illustre au xvu' siècle : les peintres, les sculpteurs, les écrivains, le haut clergé, les hommes d'État, les ducs et pairs, tous défilèrent dans son atelier. Puis, sa réputation grandissant, il fut appelé à peindre le petit-fils du roi, qui allait devenir roi d'Espagne sous le nom de Philippe V. Louis XIV fut tellement satisfait de ce portrait qu'il voulut à son tour être peint par lui.
Rigaud, avec sa manière somptueuse et noble, était tout indiqué pour peindre le Grand Roi. Peintre et modèle avaient un égal' amour du faste et du décor. C'est donc dans toute la pompe des! attributs royaux que le majestueux monarque est représenté. Il se. tient debout devant son trône surmonté d'un dais de velours rouge maintenu par des crépines d'or ; un magnifique tapis de même couleur couvre les marches du trône. A l'époque où est exécuté ce' portrait, le roi est déjà vieux, il a soixante-trois ans ; mais malgré les atteintes de l'âge, sa figure n'a rien perdu de sa noblesse et de sa régulière beauté. Campée très droit sous la lourde perruque, la tête conserve son air de domination et l'œil cette acuité dont le monarque savait si bien corriger l'éclat, quand il le voulait, par une expression de gracieuse affabilité. Mais, en ce moment, il est dans toute la majesté de sa fonction souveraine. Sur ses épaules s'attache le somptueux manteau royal, bleu semé de fleurs de lis d'or et doublé d'hermine qui l'enveloppe et retombe en larges plis jusque sur le trône placé derrière. Un jabot de fine dentelle s'étale sous le menton du roi et laisse apercevoir la croix du Saint-Esprit, soutenue par un large collier d'or. La main droite tendue est appuyée sur le sceptre qui s'appuie sur un coussin de velours bleu fleurdelisé sur lequel repose également la couronne royale, la plus glorieuse du monde. La main gauche, posée sur la hanche, relève le manteau d'apparat, et met à découvert l'épée à fourreau d'or constellé de gemmes et les jambes fines et nerveuses, emprisonnées dans un maillot de satin blanc. Les pieds sont chaussés d'escarpins de soie blanche, posés sur les larges talons rouges que portaient à cette époque les gens de cour.
De ce portrait se dégage une impression de majesté souveraine et, si l'effigie du monarque n'était pas si connue, on n'en devine¬rait pas moins que l'on est en présence du Grand Roi. Tout est traduit magnifiquement dans ce portrait : la distinction célèbre du personnage, l'intelligence de ce roi qui apporta aux affaires une si étonnante application qu'il garda jusqu'à ses derniers jours.
Louis XIV avait commandé ce portrait à Rigaud pour l'envoyer à son petit-fils devenu roi d'Espagne ; mais il en fut si enchanté qu'il le conserva à Versailles et le plaça dans la Salle du trône ; le peintre en exécuta une copie qui fut expédiée à Madrid.
Rigaud peut être considéré comme l'un des plus grands portraitistes de tous les temps. S'il aime entourer ses modèles d'accessoires somptueux et s'il se plaît à peindre ces accessoires, ce n'est jamais au détriment du modèle lui-même. Nul ne fut plus que lui soucieux de vérité. Il exécutait généralement les têtes à part sur de petites toiles et quand il était satisfait de leur expression et de leur caractère, il les ajustait sur le tableau à la place qu'elles devaient occuper.
A cause de ce souci de vérité, il aimait peu peindre les femmes, toujours enclines à se plaindre que le peintre les enlaidit. L'une d'elles, très fardée et posant dans son atelier, lui reprochait un jour qu'il ne se servait pas d'assez belles couleurs. — Eh ! madame, riposta Rigaud avec humeur, c'est le même marchand qui nous les vend.
Sa facilité était proverbiale. Saint-Simon raconte qu'il fit de mémoire le portrait de l'abbé de Rancé, après une entrevue qu'il eut avec le célèbre réformateur de la Trappe. Et ce portrait, au dire des contemporains, était admirable de ressemblance.
Rigaud fut anobli par Louis XIV. Louis XV lui continua sa faveur, le fit chevalier de Saint-Michel et lui en annonça la nouvelle dans une lettre autographe « pour avoir eu l'honneur de peindre la Maison royale jusqu'à la quatrième génération ».
Hauteur : 277 cm – Lageur : 194 cm.