Huile sur bois peinte en 1505
Dimensions : 89 x 72 cm
Visible au musée des Offices à Florence
Tout est d'une étourdissante fantaisie dans ce tableau, et le peintre a interprété la scène biblique d'une façon aussi absurde que charmante. Dans son ignorance ingénue de l'antiquité, Giorgione a habillé ses personnages dans le plus pur goût vénitien du xv° siècle. Il est extrêmement curieux, ce Pharaon, hissé sur son piédestal en costume de sénateur de la Sérénissime, tandis que, devant et autour de lui, se tient une foule bigarrée où se mêlent les toges romaines, les armures lacédémoniennes et les pourpoints à crevés des pages vénitiens. Quant au paysage, il nous laisse bien loin de la terre des Pharaons. Nous sommes bien en Italie et Giorgione n'a pas dû beaucoup s'écarter de Venise pour trouver le modèle de ces arbres, de ces collines, et de ce château.
Devant le trône du Pharaon, une femme tient dans ses bras le petit Moïse ; l'enfant plonge les mains dans un bassin où brûlent des charbons ardents que lui présente un page ; un autre page porte un plat contenant des pièces d'or. Pour bien comprendre l'importance de cette toile, il est nécessaire de se reporter à l'époque où elle fut peinte et d'examiner ta situation de l'Italie au point de vue artistique, à la fin du xv° siècle. L'école vénitienne, encore hésitante, cherchait partout son idéal et sa méthode. Les deux Bellini avaient déjà, il est vrai, rompu avec les pratiques de l'art du moyen âge, mais ils appartenaient au XV° siècle par l'éducation de leur esprit, par la timidité de leur pinceau et aussi par la précision un peu sèche de leur manière. Artistes sincères d'ailleurs et déjà sur la pente d'un prochain affranchissement, il ne leur manquait, pour atteindre le but, qu'un initiateur qui le leur montrât. Ce guide aventureux, ce génie enthousiaste et libre, ils le trouvèrent au sein de leur propre école, dans Giorgione qui était venu prendre des leçons chez l'un deux et qui bientôt devint leur maître.