Le Titien
Huile sur toile peinte par Le Titien entre 1520 et 1522
Dimensions : 100 cm x 89 cm
Visible au Musée du Louvre
On ignore le nom du jeune homme représenté ici ; mais à coup sûr, nous sommes en présence d'un personnage d'importance, patricien de la Sérénissime république de Venise. Sous son vêtement noir, égayé de la seule blancheur d'une chemise de dentelle, le gentilhomme a de la distinction, de la race, une belle tournure aristocratique. Ses cheveux noirs sont à la mode italienne du temps, coupés ras sur le front et retombant assez bas, sur les côtés, pour cacher une partie des oreilles. La tête, bien campée sur un cou robuste, n'est pas régulièrement belle, mais s'illumine d'un intelligence énergique et d'une fermeté tranquille accentuées par l'assurance et la fierté du regard. Aucun autre ornement, dans le sévère costume du modèle, qu'une fine et longue chaînette à grains de corail terminée par un médaillon. La main droite, baguée d'or à l'index, est négligemment passée à la ceinture : cette main est d'un modelé et d'une vigueur d'exécution admirables. De son coude gauche, le jeune patricien s'appuie sur un pan de rocher et, dans sa main gauche gantée de peau de daim, il tient son autre gant.
« On a presque honte d'écrire des phrases élogieuses sur un pareil chef-d'œuvre ; il semble que l'on commette un béotisme en exprimant son admiration pour ce dessin grand et simple, cette couleur d'une clarté si chaude, ce modelé puissant et souple, cette fleur de vie répandue partout qui caractérisent la manière de Titien. Titien est le plus sain, le plus robuste, et le plus tranquille des grands peintres. Chez lui, aucun effort visible ; il atteint la beauté facilement et du premier coup, comme une chose naturelle. Ses figures ont la santé, la joie sereine, l'équilibre parfait des statues grecques et des peintures antiques telles qu'on peut les supposer. Aucune fièvre, aucune inquiétude ne les travaillent et ne les déforment ; elles s'épanouissent tranquillement dans la plénitude de leur force et de leur beauté, heureuses d'avoir reçu la vie du pinceau de Titien qui est, avec Velazquez, le plus grand peintre de portraits du monde. » (Théophile Gautier.)
Aussi n'est-il pas surprenant qu'il ait été, durant sa longue vie, le peintre de tous les personnages illustres du XVIe siècle. Dès ses débuts, son vigoureux talent lui vaut une réputation méritée. Le Conseil des Dix le nomme peintre des Doges, titre qu'il lui retirera par la suite à cause de ses lenteurs dans l'exécution des commandes ; puis, c'est Alphonse de Ferrare, grand protecteur des arts, que Victor Hugo a peint de couleurs si noires, qui attire près de lui le jeune peintre, l'installe dans son propre château et le comble d'honneurs. Ce séjour à Ferrare est marqué par le magnifique portrait du duc, par celui de Laura di Dianti et par une cinquantaine d'oeuvres de premier ordre. Après un court passage à la cour de Frédéric Gonzague, duc de Mantoue, Titien se lie avec Francesco Maria délia Rovere, duc d'Urbino et neveu du grand pontife Jules II. A cette cour, il peint de nombreux portraits, qui sont tous des chefs-d'œuvre; il en exécute même d'après des copies, tels que ceux du Sultan et de François Ier ; ce dernier est au Louvre et l'on peut constater en le voyant que Titien n'avait pas besoin de faire poser son personnage pour en faire un admirable portrait.
Jaloux de posséder un tel peintre, le monarque le plus puissant de l'époque, Charles-Quint, lui prodigue les marques de son amitié et lui commande plusieurs fois son portrait. Ces portraits sont autant de chefs-d'œuvre. On raconte qu'un jour l'Empereur — cette « moitié de Dieu », comme l'appelle Victor Hugo — se trouvait dans l'atelier de Titien lorsque celui-ci laissa choir par mégarde son pinceau. Le souverain se baissa pour le ramasser et le rendit à l'artiste. A ses courtisans étonnés, Charles-Quint signifia tranquillement qu'un tel génie était bien digne d'être servi par un empereur. Pour chaque portrait de lui, ce monarque lui paya 1.000 couronnes d'or et il lui conféra en outre des titres de noblesse avec un don annuel de 200 couronnes. Il essaya même de l'attirer à Madrid avec le titre de peintre de la cour, mais Titien refusa, craignant de ne pouvoir s'habituer aux habitudes espagnoles en matière d'art et de foi.
Par l'intermédiaire de l'Arétin, son ami, Titien fut appelé à Rome par Paul III, de la famille Farnèse. Le pontife posa plusieurs fois devant lui.
On a dit de Titien qu'il n'eut pas un caractère aussi beau que son génie et qu'il gâta ses dons merveilleux par une rapacité indigne d'un grand artiste. Ce que fut l'homme importe peu aujourd'hui ; l'œuvre compte seule et elle est admirable. Titien, quels qu'aient été ses défauts, reste l'un des plus grands peintres du monde et l'un des fournisseurs les plus puissants d'émotion artistique.
L'Homme au gant fut acquis par Louis XIV, à qui nos musées français sont en grande partie redevables de leur grande richesse.