François Boucher
Musée du Louvre
François BOUCHER affirme le Nécrologe de 1771, possédait à un degré supérieur toutes les grandes parties de l'art de la peinture et il eût pu s'essayer et se distinguer dans tous les genres ; mais né sensible, aimable et voluptueux, il se vit presque toujours entraîné vers les Grâces dont il fut généralement appelé le peintre. » Sensible, aimable et voluptueux : en ces trois termes se résume la physionomie du XVIIIe siècle tout entier, avec son élégance spirituelle et son dévergondage raffiné ; dans ces trois mots également s'enferme tout l'art de Boucher, peintre des fêtes galantes et des mythologies gracieuses. Ses conceptions personnelles s'adaptaient merveilleusement au goût de l'époque. Il devait réussir dans une cour brillante et libertine dont Madame de Pompadour était la reine ; il en devint bientôt le peintre officiel. Aussi bon courtisan qu'artiste habile, il employa le meilleur de son talent à célébrer Vénus, la déesse d'amour et de beauté, délicat hommage à la favorite royale, sa protectrice, souveraine toute-puissante Hafi le jlastueux Olympe de Versailles. Par goût naturel, il aime d'ailleurs à faire jouer la lumière sur les chairs roses et nacrées des femmes ; son œuvre entière est un hymne permanent à la jeunesse, à la beauté et à l'amour.
Parmi ces toiles allégoriques, celle que nous donnons ici est l'une des plus belles. A droite du tableau, Vulcain, assis sur une peau de tend a la déesse les armes qu il vient de forger. Portée sur un ttoa^e et appuyée sur une de ses nymphes, Vénus à demi nue les examine négligemment. Son corps nonchalamment cîenau COÏ une merveille de grâce aisée et de beauté indolente. Au premier plan, on aperçoit le char de la divinité, attelé de colombes. Sur le devant de U toile, un Amour tresse des guirlandes de roses. Dans le ciel baigné d'une lumière diaphane, d'autres Amours se poursuivent en jouant.
S'il obtint les suffrages unanimes de ses contemporains, l'art de Boucher éprouva les rigueurs de la postérité. De rengoucmenl exagéré on en vint sans transition à l'absolu mépris. On lui reprochait la mol¬lesse de son dessin, l'incorrection de ses anatomies, le conventionnel de sa peinture. Malgré la part de vérité contenue dans ces critiques, il faut avouer que nous sommes très mal placés aujourd hui pour juger Boucher, qui fut surtout et avant tout décorateur. Pour asseoir un jugement équitable, il faudrait voir ses œuvres dans le cadre pour lequel elles avaient été peintes, panneaux sculptés où courent des guirlandes, trumeaux ouvragés et précieux, tympans dorés et festonnés d'arabesques; on leur trouve aussitôt toute leur signification esthétique et toute leur harmonie. Dépouillées de ce soutien nécessaire, les toiles de Boucher ressemblent à des diamants qu'on aurait dessertis de leur alvéole d'orfèvrerie.
« Son œuvre est prodigieuse sous son aspect léger, prodigieuse par la fécondité de l'effort qu'elle représente, et prodigieuse aussi par la facilité d'expression qu'on y découvre, facilité, il faut bien le dire, plus rare chez ceux qui s'obstinent à pénétrer le mystère de la nature que chez ceux dont la faculté d'observation s'arrête à la surface des choses. Et telle était cette incroyable facilité, qui constituait le fond du talent de Boucher que ce dernier traita avec la même assurance, sinon avec le même bonheur, tous les sujets, depuis les sujets de sainteté jusqu'aux grivoiseries les plus déshabillées, caressant avec une égale aisance de pinceau les voiles de la Vierge dans ses tableaux de Nativité et les splendeurs nacrées de Miss Murphy voluptueusement étendue au milieu des draperies bouleversées de l'alcôve. » (Armand Dayot.)
Ce qu'on ne peut, sans injustice, contester à Boucher, c'est l'harmonieuse beauté de sa composition, l'incomparable fluidité de sa couleur, la clarté de ses atmosphères et surtout cette élégance parfaite, un peu maniérée mais exquise, où se matérialisent à nos yeux, en quelque sorte, l'esprit et le goût de la Régence et du règne de Louis XV.
David le savait bien, lui qui avait travaillé plus que tout autre à réagir contre cet art. Un jour qu'il entendait certains de ses élèves tourner en dérision le peintre des Bergeries et des Boudoirs, il alla vers eux, fort en colère,et leur cria ; « N'est pas Boucher qui veut ! »
On peut en croire David ; il était bon juge. Boucher est resté inimitable dans un genre qu'il a créé et dont aucun peintre après lui n'a pu retrouver le secret. Ses élèves s'évertuèrent à le continuer, et n'y réussirent point.Sous leur pinceau, l'habileté du maître devint du procédé, sa grâce de l'afféterie, son tour galant de la fadeur.
On est aujourd'hui revenu de l'injustice dont a longtemps souffert l'art de Boucher. Sans le classer au rang des grands maîtres on s'accorde à le reconnaître comme un peintre délicat et charmant, parfois incorrect mais jamais banal, dont on regarde toujours les œuvres avec plaisir cl intérêt, parce qu'elles sont élégantes, spirituelles, brillantes comme la société dont elles reflètent les goûts, les qualités et les défauts.
Vulcain présentant les armes d'Énée à Vénus figura au Salon de 1757. Il y obtint un grand succès. Il fut acquis par le roi Louis XV pour être reproduit en tapisserie par la manufacture royale des Gobelins. Plus tard, il passa du Garde-Meuble au Musée du Louvre, qu'il n a plus quitté.
Hauteur : 320 cm – Largeur : 320 cm.