David Téniers (le jeune)
Musée du Louvre
Le musée du Louvre possède un assez grand nombre de tableaux du peintre si spirituellement réaliste qu'est David Téniers. Il est inutile de les décrire, car ils se composent des mêmes éléments, variés avec l'art le plus ingénieux et paraphrasent sur des modes différents le thème uniforme de la vie familière des paysans. Quelquefois cependant il essaya quelque sujet d'histoire ou de sainteté ; mais il se permettait l'anachronisme du costume avec la même liberté que Paul Véronèse, et il était homme à mettre des canons au siège de Troie et une pipe entre les lèvres d'Achille aux pieds légers. Ainsi, l'enfant prodigue, à table entre les courtisanes, a un chapeau à plumes, un manteau de raffiné et une épée de gentilhomme ; les courtisanes, paisibles Flamandes, sont habillées à la mode du dix-septième siècle et, dans le fond, on aperçoit un clocher surmonté de son coq, ce qui n'a rien de particulièrement biblique ; mais la parabole de l'enfant prodigue est de tous les âges. Ses Œuvres de miséricorde, que nous donnons ici, renferment dans un seul tableau tous les actes méritoires que peut inspirer la charité chrétienne, traités avec la même piquante ingéniosité et avec la même liberté d'interprétation.
Ce tableau passe à bon droit pour l'un des plus complets chefs-d'œuvre de David Téniers ; l'exécution en est extrêmement originale et les personnages possèdent tous cette allure particulière, amusante et familière, qui nous les fait aimer, en dépit de leur vulgarité paysanne ; mais on sait malgré tout que cette composition, avec son évidente portée morale, n'est pas l'affaire de Téniers et qu'il s'y sent beaucoup moins à l'aise que dans son petit monde de fumeurs et de buveurs.
Théophile Gautier, grand admirateur de Téniers, a écrit sur ce peintre une très jolie page, que nous nous en voudrions de ne pas citer :
« David Téniers, dit le Jeune, s'est fait un petit monde où il règne en maître. En vain Louis XIV a dit avec une moue dédaigneuse : « Tirez de devant moi ces magots, » les musées, les galeries, les cabinets d'amateurs ne s'en sont pas moins disputé les magots du bon Flamand. On a trouvé un charme intime à ces cabarets où fument des paysans à côté d'un pot de bière, où des servantes, lutinées par de rustiques galants, passent portant des plats ou des flacons, où dans une ombre chaude, piquée de paillettes lumineuses, étincellent des batteries de cuisine bien écurées ; à ces cabinets d'alchimistes, encombrés de matras, de siphons, de cornues, de serpentins et de tout le fatras cabalistique, mobilier ordinaire des souffleurs ; à ces tentations de saint Antoine, à ces kermesses qui dansent en plein air, à ces chasses au héron ; et à tous ces sujets de la vie familière que Téniers excelle à rendre. Personne ne peignit mieux l'aspect de la Flandre, avec son ciel humide d'un gris léger, ses fraîches verdures, ses maisons de briques aux pignons en escalier, dont les toits offrent des nids aux cigognes, ses canaux regorgeant d'eau brune, ses corps de garde tapageurs, ses cabarets hospitaliers, ses paysans trapus, à mine goguenarde, et ses bonnes petites femmes rondelettes.
« A travers cette rusticité, Téniers fait quelquefois apercevoir les tourelles d'une habitation seigneuriale, car s'il peignait la campagne, c'était de la fenêtre d'un château. David Téniers n'est pas, comme on se l'imagine trop souvent, un artiste dont les œuvres doivent leur principal mérite au fini. Personne na travaillé d'une façon plus libre, plus légère, plus rapide. La plupart de ses petits tableaux, qu'on se dispute à prix d'or, ne lui coûtaient qu'une après-dînée. Sa peinture, blonde, transparente, maintenue dans des gammes rousses ou des gris tendres, procède par larges localités que modèlent, en deux ou trois coups, des touches piquantes, des réveillons spirituels. Un point de lumière, une demi-teinte, un reflet, et voilà un pot de grès, une bouteille de verre qui semblent terminés avec un soin excessif. L'effet juste est obtenu à très peu de frais. II en est de même pour les figures, accusées par méplats avec une prestesse et une certitude de grand artiste. Rubens, Van Dyck et Téniers ont été de leur vivant les noms les plus célèbres des Flandres, et la postérité leur a conservé et confirmé leurs titres. L'idéal de Téniers n'était pas très haut sans doute, mais il l'a réalisé complètement. »
Les Œuvres de miséricorde proviennent de l'ancienne collection royale. On trouve trace, en 1735, d'un tableau de ce nom, acheté 860 florins à la vente de M. Schuylemberg de La Haye, mais on ignore s'il s'agit de celui du Louvre. Celui-ci figure dans la salle Téniers, derrière la salle des Rubens. Il est peint sur cuivre.
Hauteur : 57 cm – Largeur : 77 cm.