Jacques-Louis David
Musée du Louvre
DAVID est peut-être, de tous les peintres, celui qui a été le plus glorifié et le plus honni. Porté aux nues par ses contemporains, il fut traîné aux gémonies par la génération suivante. L'accord s'est fait aujourd'hui sur son œuvre, grâce au recul du temps qui éteint les haines d'écoles et de partis. David, peintre d'histoire, ne jouit plus que d'une estime modérée et toute notre admiration s'adresse désormais à David portraitiste.
Ce jugement de la postérité aurait surpris et surtout irrité le peintre, s'il avait pu le deviner. A ses yeux, la peinture d'histoire, inspirée de l'antique, comptait seule ; il s'en était servi comme instrument pour abattre le maniérisme et la fadeur du XVIIIe siècle ; il lui devait son titre de chef d'école. Quant aux portraits, il les considérait comme un délassement de ses grands travaux et comme un art inférieur, bon tout au plus à procurer un revenu sûr et immédiat, A Mme de Verninac, sœur de Delacroix, dont il a fait un délicieux portrait et qui désirait le voir figurer au Salon de l'an VIII, il écrit : « Il serait ridicule qu'un artiste comme moi exposât simplement un portrait tel bon qu'il soit. » Et pour adoucir son refus, il ajoute : « Je suis occupé en ce moment à faire encore une autre belle femme, Mme Récamier. C'est un tout autre genre de beauté. Je pense qu'elle voudra que son portrait soit exposé ; alors j'aurai l'honneur de vous en prévenir et de vous prier en même temps d'y joindre le vôtre. »
C'est en 1800 que David commença le portrait de Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard, femme du richissime banquier Récamier. Sa grande fortune, sa réputation de beauté et d'esprit la faisaient rechercher dans les salons de l'époque ; elle y brillait sans efforts, par la seule vertu de son charme et de sa bonté. Cette femme célèbre chargea David, alors dans toute sa gloire, de fixer ses traits. Le peintre aborda ce portrait avec enthousiasme, certains disent avec amour ; il s'était adjoint, pour dessiner les accessoires, un jeune artiste nommé Ingres, qui devait à son tour devenir illustre.
David avait placé son modèle dans une pose charmante. A demi-couchée sur un lit de repos, Madame Récamier tourne vers la droite son joli visage. Elle porte une robe légère de linon blanc, d'où sortent ses pieds nus croisés l'un sur l'autre. Un ruban noir maintient la chevelure bouclée.
Le portrait si bien commencé ne fut jamais fini. Un beau jour, David apprit que Madame Récamier le quittait pour se faire peindre par Gérard, son élève. Il en conçut du dépit et abandonna son ouvrage. Le portrait demeura à l'état d'ébauche, mais quelle ébauche ! Devant cette œuvre magistrale, où la couleur est simplement indiquée par des frottis légers qui la rendent transparente, lumineuse, on se réjouit presque du hasard qui empêcha David d'appliquer la pâte épaisse, souvent terne et lourde, de son pinceau. Tel qu'il nous est parvenu, ce portrait est un véritable chef-d'œuvre, autant par la maîtrise de l'exécution que par la sobriété, la distinction et l'harmonie des lignes.
Gérard, dans son portrait de Madame Récamier, ne fut pas moins heureux que son maître. Comme lui, il réussit à produire un chef-d'œuvre. On peut comparer les deux toiles qui se trouvent au Louvre, Celle de Gérard a peut-être plus de fraîcheur et de séduction, on y devine le souci du peintre à flatter son modèle ; celle de David se distingue par plus d'harmonie dans l'ensemble, par plus de fermeté, par plus de vérité aussi. Rien ne ressemble moins à David peintre d'histoire que David portraitiste : devant la nature vivante tombait sa froideur systématique ; il l'attaquait avec une absolue sincérité, ne cherchant ni à l'interpréter ni à l'orner ; sur les traits mobiles du modèle, à force d'étude et de précision, il saisissait l'âme et la fixait. Il doit à cette probité scrupuleuse une gloire de bon aloi que ses meilleures et ses plus vastes compositions d'histoire n'auraient pu lui assurer. « Il ne reculait même pas devant l'horreur, malgré son amour de la beauté classique. Ce qui fait la gloire de David, c'est sa grande science du dessin fortifiée par l'étude incessante du modèle, anoblie et comme ramenée au type général par la familiarité de l'antique. Sans doute les personnages de ses tableaux se figeaient parfois en statues, mais jamais ses portraits. Pendant une longue période, l'autorité de David fut immense, incontestée, sans rivale. Il s'était emparé, en maître despotique, du domaine de l'art. Ces dominations ne s'acquièrent pas sans une rare puissance et, pourquoi ne pas dire le mot, sans génie. » (Théophile Gautier).
Le portrait de Madame Récamier, n'ayant pas été achevé, demeura la propriété de l'artiste qui l'oublia dans un coin de son atelier. Il le suivit dans son exil à Bruxelles sans trouver acheteur. Il fut acquis par l'Etat en 1826, à la vente posthume du peintre, pour la somme de 6.180 francs. On le mit au Louvre, d'où il ne sortit qu'une fois, en 1889, pour figurer à la centennale de l'Exposition universelle. Il est placé aujourd'hui dans la salle connue sous le nom de Salle du Sacre, où se trouvent réunies les œuvres les plus célèbres du grand peintre.
Dimensions : hauteur : 174 cm x largeur : 244 cm